Le Bijou dans l’Égypte Antique
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Pourquoi avoir choisi de vous spécialiser en égyptologie et plus particulièrement dans le domaine de l’art et de l’artisanat ?
Je suis passionnée par l’Égypte ancienne depuis les années collège… j’ai dévoré de nombreux romans et je regardais tous les documentaires qui passaient à la télévision. En entrant au lycée c’était devenu une évidence… je serai égyptologue ! Comme je vivais alors à Metz, j’ai emménagé à Paris pour suivre le cursus d’histoire de l’art et d’archéologie à la Sorbonne. Les études de toutes les civilisations m’intéressaient, mais rien ne pouvait rivaliser avec l’Égypte dans mon cœur. J’ai été acceptée en Master en 2005 puis en doctorat en 2009. J’ai terminé mes études en obtenant le titre de Docteur en égyptologie en 2017. Quand s’est posée la question du sujet de mon mémoire de Master, je savais déjà que je voulais travailler sur la vie quotidienne et l’artisanat. En effet, j’ai toujours été sensible aux techniques et aux choix des matériaux utilisés par les anciens Égyptiens. Dès que je vois un objet, comme une statue, un sarcophage ou un vase, je me demande : comment a-t-il été fabriqué ? Pourquoi a-t-il été fabriqué ? Je me suis donc penchée sur la fabrication de la bière pour mon Master et la fabrication des objets en albâtre pour ma thèse.
Le bijou de l’antiquité égyptienne était-il seulement ornemental ?
En Égypte ancienne, hommes, femmes et enfants portent des parures variées : diadèmes, colliers, bracelets (aux poignets, aux bras, aux chevilles), bagues… mais il semble que seules les femmes aient porté des boucles d’oreilles, une mode venue du Proche-Orient. Certains bijoux pouvaient être uniquement ornementaux, comme les colliers de perles, les boucles d’oreilles… mais de nombreux bijoux avaient une signification. Par exemple, certains colliers étaient offerts par Pharaon à ses sujets méritants. Ils faisaient partie de « l’or de la récompense ». Visible depuis le balcon de son palais, Séthi Ier distribue à Hormin, chef du harem royal, de grands colliers que les serviteurs s’empressent de lui mettre autour du cou. Les bagues au chaton en forme de scarabée sont également des sceaux : gravés de hiéroglyphes sur leur face plane, ils peuvent pivoter pour servir de tampon. Et il y avait bien sûr les pendentifs et les amulettes apotropaïques, c’est-à-dire « qui protègent contre les influences maléfiques ».
Les égyptiens faisaient-il la distinction entre talisman et amulette ? Quelles différences dans leur usage ?
En égyptologie on parle plus volontiers d’amulettes que de bijoux porte bonheur. Ce sont des représentations divines ou des symboles censés protéger leur porteur, car les Égyptiens étaient assez superstitieux. Dans la culture égyptienne, dès l’enfance, les adultes faisaient porter aux petites filles et aux petits garçons des colliers munis de pendentifs, représentant divinités ou symboles particuliers, pour leur éviter tout mal. Il faut dire que la mortalité infantile était alors très élevée. Les adultes aussi, bien sûr, pouvaient en porter tout au long de leur vie et, une fois morts, les embaumeurs plaçaient diverses amulettes entre les bandelettes de la momie, à des endroits spécifiques. C’est le cas du « scarabée de cœur », un gros scarabée en pierre placé sur la poitrine du défunt (à l’endroit du cœur), pour protéger cet organe vital (qui n’était pas retiré lors de la momification), siège des sentiments et des émotions, mais aussi de l’intelligence et de la mémoire. Il faut préciser que les bijoux n’étaient pas les seuls à recevoir des décors « magiques » : je pense aux attributs de pharaon (sceptres, couronnes, uraeus), mais aussi aux objets de la vie quotidienne, comme les étuis à khôl ou le mobilier en bois (lits, chevets), qui pouvaient être orné de l’image du génie Bès, réputé éloigner les mauvais esprits et les cauchemars. La magie était très présente en Égypte ancienne, les dieux venaient sur Terre et les morts avaient la possibilité de revenir parmi les vivants, généralement pour leur apporter des bienfaits, mais aussi leur causer des soucis. On pouvait également porter sur soi un fragment de papyrus enroulé dans un petit étui. Sur ce papyrus était écrite une formule magique protégeant son porteur.
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De quels matériaux étaient constitués ces bijoux ?
Toutes sortes de matériaux étaient utilisés par les joailliers. On pense bien sûr à l’or, qui constituait la chair des dieux, et à l’argent, beaucoup plus rare. Les Égyptiens ne connaissaient pas les pierres précieuses (rubis, saphir, émeraude, diamant). Pour ces bijoux et bracelets egyptiens, ils utilisaient des pierres fines, également appelées semi-précieuses : turquoise, cornaline, jaspe, lapis-lazuli. Les bijoux les plus précieux (comme ceux retrouvés dans la tombe de Toutânkhamon, donc dignes d’un roi) étaient réalisés dans ces matériaux. Les Égyptiens de toutes classes sociales portaient du verre et de la faïence (perles, incrustations, pendentifs), les contrastes de couleurs vives étant particulièrement appréciés. Les bijoux plus modestes sont en cuivre, en bronze, en os, en coquillages… Depuis les débuts de la période pharaonique, on trouve des bijoux sur le corps des défunts (momifiés ou non) ou déposés dans la tombe ou à l’intérieur cercueil.
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La création et le commerce de ces bijoux étaient-ils réservés à certains artisans ou réalisés de façon domestique ?
En Égypte ancienne, seul le roi -en théorie- est propriétaire de la terre et donc tout ce qu’elle contient. Les métaux et minéraux étaient extraits des mines et des carrières du désert égyptien grâce à des expéditions commanditées par le roi et menées par des hommes de confiance. Ils pouvaient aussi être achetés auprès de marchands venus de l’étranger (comme le lapis-lazuli, provenant d’Afghanistan) ou obtenus grâce aux tributs versés par les régions soumises à l’Égypte. Ainsi l’or venait principalement des mines de Nubie, au Sud de l’Égypte. Ces matériaux rares et précieux étaient ensuite emmagasinés dans le palais royal ou dans les temples, et seuls des artisans travaillant dans les ateliers jouxtant ces réserves pouvaient s’en servir. Les bijoux qu’ils fabriquaient pouvaient être offerts par le roi, ou achetés. Par contre, il est possible que n’importe quelle personne habile de ses mains et créative ait pu tailler d’autres matériaux faciles d’accès, comme l’os, le bois ou la pierre, et en faire des bijoux.
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Existait-il une distinction entre les bijoux du quotidien, les parures de cérémonie et les bijoux funéraires ?
Oui, cela semble logique. On imagine facilement qu’il devait être pénible de passer toute une journée (en particulier sous le climat égyptien) avec un collier ousekh, en métal et rangées de perles en faïence, comme celui de la princesse Néférouptah, ou avec un pendentif en or massif, comme la triade d’Osorkon II conservé au musée du Louvre ! Certains colliers étaient être si lourds qu’un contrepoids, porté dans le dos, était nécessaire pour ne pas être déséquilibré. Certains bijoux particulièrement précieux devaient donc être réservés pour les grandes occasions (fêtes, cérémonies, banquets). D’autres étaient fabriqués spécifiquement pour l’équipement funéraire, comme les amulettes pour la momie, dont l’utilisation était expliquée dans le Livre des Morts. Cela n’empêche pas que de nombreux bijoux retrouvés dans les tombes pouvaient avoir été portés du vivant de la personne.
Au panthéon spirituel des égyptiens dieux et animaux se rencontrent, quelles figures retrouve-t-on sur les bijoux de cette civilisation ?
Je vous conseille d’aller jeter un œil aux vitrines de la salle 330 du musée du Louvre (aile Sully, rez-de-chaussée). Vous constaterez que de nombreuses divinités sont représentées dans la bijouterie, sous forme humaine, animale ou hybride : Bès, Thot, Taouret, Mout, Horus, mais aussi le sphinx ou l’uraeus (cobra porté au front du pharaon). Chacune de ces représentations à une fonction particulière, liée à la divinité et à ses pouvoirs.
· Œil d’Horus, croix Ankh, Tyet… les symboles phares de la civilisation égyptienne se retrouvent sur les papyrus, les murs des tombeaux mais aussi sur les bijoux. Quels sont les principaux motifs transformés en bijoux ?
Vous avez cité trois des principaux symboles. Leur pouvoir de protection devait être très puissant, c’est la raison pour laquelle ils sont aussi très fréquents et, il est vrai, pas uniquement utilisés dans la joaillerie. L’œil oudjat représente l’intégrité physique, la croix ânkh est le hiéroglyphe de la vie, le nœud rouge tit symbolise la déesse Isis. Ce dernier est souvent associé avec le pilier djed « stabilité » du dieu Osiris. L’image du lotus bleu est aussi très appréciée, cette fleur aquatique qui s’épanouit le jour et se referme sous l’eau la nuit, évoque la naissance du soleil et sa renaissance, et par extension celle du défunt.
Quel lien les égyptiens entretenaient-ils avec la notion de luxe ?
C’est une très bonne question ! Pour y répondre, il faudrait d’abord définir le mot « luxe » puis faire une recherche approfondie dans les textes égyptiens. Faire une thèse en somme ! Comme toujours en égyptologie, vous n’auriez pas une vue d’ensemble. Autrement dit, il est compliqué d’avoir l’avis de toute la population égyptienne sur le sujet, mais seulement celui de l’élite, qui avait accès à l’écriture. On pourrait également interpréter certaines scènes figurées dans les tombes égyptiennes, où était déployé un certain faste, comme les représentations de banquets du Nouvel Empire. Mais attention à ne pas tomber dans le piège consistant à s’appuyer sur des idées émanant de notre propre culture ! Il ne faut pas oublier que ce sont des monuments funéraires, leur but premier n’était pas de dépeindre la réalité.
Quels témoignages nous restent-il de cette civilisation fascinante ? (bijoux et collection d’artisanat remarquables par exemple)
Trois collections de bijoux égyptiens me viennent à l’esprit. Outre celle du musée du Louvre déjà citée, celle du Petrie Museum à Londres est connue pour être très riche. Sinon il y a bien entendu l’impressionnante collection de bijoux de Toutânkhamon, dont une toute petite partie avait été exposée à la Grande Halle de la Villette l’année dernière : colliers, bracelets, bagues, boucles d’oreilles… de somptueux coffrets remplis de bijoux ont été trouvés par Howard Carter en 1922 dans la dernière demeure du jeune roi. Ces chefs-d’œuvre de joaillerie seront exposés dans le futur Grand Musée Égyptien (GEM) qui ouvrira ses portes en 2021.
Au Musée des Beaux-Arts de Boston on peut admirer la reconstitution d’une robe composée de 700 perles en faïence ! Les perles avaient été trouvées éparpillées sur le corps de la défunte dans une tombe de Gizeh datée de plus de 4500 ans.
Merci à Maryline.
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