Une Gastronomie Enracinée et Engagée
– Mets et mots au goût de l’Art –
La gastronomie française est entrée en 2010 à l’UNESCO et est dorénavant protégée au titre de patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Depuis 2017, la pizza napolitaine l’a rejoint. Si cela peut prêter à sourire, la bonne chère est une affaire sérieuse qui déchaine les passions et comporte des enjeux multiples pour notre société et les jours à venir. Je vous invite à commencer votre dégustation des sujets sur le grill pour une gastronomie gourmande, authentique et engagée en découvrant le goût qu’Art et belles lettres portent à la gastronomie.
L’Art de passer à table
La table est un lieu de partage hautement codifié. Un enjeu de pouvoir dont la mission de représentation a évolué au fil des siècles. Comme le rappelle Patrick Rambourg pour Beaux-Arts Magazine (N° 428), le banquet joue une fonction sociale, politique et religieuse. Sa magnificence est au cœur de multiples œuvres d’art, des fresques des nécropoles de Thèbes aux tableaux de la Renaissance. Si immortaliser un repas peut sembler bien profane, le rôle essentiel de la table n’a pas échappé aux artistes. Les êtres les plus spirituels savent eux aussi se délecter, d’ailleurs, même les dieux reçoivent vins et festin en offrande. Peintres, écrivains, réalisateurs ou photographes : tous se sont attablés devant cette inépuisable source d’inspiration qu’est le repas.
Toiles des plus célèbres s’il en est, la Cène de Léonard de Vinci ou les Noces de Cana dépassent l’instantané d’un déjeuner entre amis et Arcimboldo fut peut-être parmi les artistes à mieux saisir à quel point nous sommes ce que nous mangeons. Ses portraits, aux visages constitués de carottes, courges ou épis de maïs, sont de véritables trognes légumières non dénuées d’espièglerie.
Des siècles plus tard, le photographe de mode Irving Penn délaisse les élégantes et la haute couture pour à son tour immortaliser tomates, pommes et huîtres dans des compositions éminemment picturales, star du magazine Vogue. La photographie culinaire aurait-elle trouvé ses lettres de noblesse ? Les compositions bien léchées des Renards Gourmets n’ont en effet rien à envier aux natures mortes des plus grands peintres flamands. L’interview exclusive et savoureuse de ce duo d’artistes gourmets qui accompagne cet article devrait vous en convaincre !
Les images bien léchées des Renards Gourmets
Mets & mots, une recette gagnante
Les belles lettres et la bonne chère font elles aussi bon ménage, c’est pourtant un exercice délicat que celui d’exprimer une saveur.
Pour nous parler d’Amour et de Beauté, Platon va jusqu’à intituler son texte Le Banquet. En 1808 dans son Manuel des Amphitryons, Grimod de la Reynière propose un traité de dissection des viandes, « des éléments de politesse gourmande » et une « nomenclature des menus les plus nouveaux » où une jeune première fait son apparition : la purée de pommes de terre.
Paru en 1972 et aujourd’hui réédité par Taschen, Les dîners de Gala (savoureux jeu de mot entre le prénom de son épouse Gala et ces recettes de fêtes incongrues) est un autre ouvrage unique en son genre. La bible culinaire surréaliste rassemble 136 recettes illustrées par Salvador Dali. Les impertinentes préparations (cocktail de Casanova, buisson d’écrevisses aux herbes des Vikings ou rumstecks Éros) recèlent, à l’image des toiles du maitre catalan, de nombreux symboles cachés.
L’aviez-vous remarqué ? Le menu de restaurant célèbre lui aussi l’alliance des mets et des mots avec une grâce poétique. Aujourd’hui encore son rôle reste inchangé malgré, il faut le reconnaitre, quelques tournures alambiquées. Contenu et graphisme de ces documents éphémères constituent de précieux indices sur les goûts et usages d’une société. De l’ardoise de comptoir aux réceptions officielles, le menu assume son rôle publicitaire et permet aux convives de saliver d’avance, images à l’appui dans certaines régions du monde telles que la Chine.
La narration du goût est un thème qui intéresse le Chef Bruno Verjus pour qui « Le premier rapport avec le plat au restaurant est celui du verbe, on pourrait presque parler d’une liturgie, celle de la parole de la carte, de la nomination poétique et de la précision des mots. » Sobrement baptisé Table, son restaurant étoilé prône une cuisine qui va à l’essentiel en participant à redéfinir le monde dans lequel nous vivons.
Certains menus sont de véritables pièces de collection religieusement conservées la New York Public Library. Parmi plus de 17 000 menus numérisés, comme ce menu d’adieu au Président Roosevelt, nul doute que même les gourmets les plus exigeants trouveront quelque chose à se mettre sous la dent.
Ces oeuvres et ces mots ont ouvert votre appétit? Découvrez dans ce second chapitre les mets et rituels de dégustation qui contribuent à une certaine définition de la haute gastronomie.